Kantor — « Je crois que l’on ne peut pas concevoir le théâtre spécialement pour le spectateur… »

« [D.B. : (…) que vouliez-vous à ce moment-là apporter au spectateur ? Simplement une œuvre d’art informelle, ou était-ce un moyen de lui communiquer quelque chose de particulier ?

T. K. : Vous savez, je ne crois pas que ce soit là le problème.] Quand j’ai réalisé l’œuvre — je ne dis pas l’art mais l’œuvre —, cela conditionne déjà la perception. La perception est une conséquence tout-à-fait rationnelle. Je crois que l’on ne peut pas concevoir le théâtre spécialement pour le spectateur. Je crois que l’on doit faire le théâtre, et que le spectateur est quelque chose de tout simplement naturel. Le créateur doit s’engager personnellement à fond, le spectateur aussi. Si, lorsqu’on travaille au théâtre, on pense d’abord: ‘Il y a le texte ; comment je ferai avec le texte pour informer le spectateur ?’, on commet une erreur grossière. Immédiatement commencent toutes ces opérations qui relèvent pour moi du travail académique : ‘l’application’, la ‘reproduction’ du texte, l’ ‘interprétation’. Je crois que la communication, car il s’agit de communication, notamment entre texte et spectateur, est une conséquence absolue de l’œuvre d’art. On ne peut créer une œuvre d’art qui soit absolument isolée. L’œuvre d’art possède en soi une force d’expansion ; cela suffit, le spectateur vient de lui-même. »


Tadeusz Kantor, entretien avec D. Bablet, « Travail théâtral », hiver 1972, repris dans T. Kantor, Entretiens, Carré, coll. « Arts et esthétique », 1996 (p. 35)